Atom - La culture manga
Par

Fin janvier 2017, plus d’une décennie après l’arrêt de l’excellente petite revue Le Virus Manga centrée sur la bande dessinée nippone, l’élégant Atom - sobrement sous-titré : la culture manga - atterrit dans les kiosques français. Ce magazine dont le second opus vient de paraitre se positionne sur ce créneau désaffecté, avec une formule dédiée aux manga et à leurs auteurs : exit les produits dérivés, les animés. Le contenu va plus loin qu’un amas de bêtes résumés et avis de chroniqueurs peu inspirés ou intéressés. Ce trimestriel qui se veut exigeant fait la part belle aux interviews, longues, fouillées, propose quelques articles de fond et fournit une modeste sélection des derniers titres sortis dans le commerce.

Atom apparait comme le rejeton des chroniques manga qui ont fleuri dans Mad Movies, le magazine dédié au cinéma principalement SFFF dont Fausto Fasulo est le rédacteur en chef. Le petit malin réunit dans cette nouvelle équipe ses potes, des plumes connues telles Marius Chapuis (Libération), Stéphane Du Mesnildot (les Cahiers du cinéma), Laurent Duroche (Mad Movies), Aurélien Estager (traducteur), Xavier Guilbert (du9.org), les artistes Nicolas De Crécy et Romain Slocombe... À la différence d’une revue comme Otomo, Atom ne vise pas les « nostalgeek » ni ne présente une énième introduction à la culture japonaise (autant lire Planète Japon). Atom propose de (re)découvrir des auteurs possédant un discours, une patte, au travers d’entretiens, de notes et de bibliographie. Il cible les amoureux et les curieux de mangakas et de titres lorgnant, entre autres, du côté de l’underground, du patrimoine, du mature, du gore, du délire, éclectiques, moins connus, moins vendeurs, alors que ces mêmes titres peuvent cartonner au Japon voire sont estampillés « snob » par chez nous. Des œuvres loin des licences ultras commerciales qui remplissent déjà les pages des magazines de japanimations présents sur le marché depuis des décennies. La collection WTF ?! des éditions Akata (et dont Mad Movies est partenaire ) et l’éditeur le Lézard Noir ont une place de choix.

Les entretiens permettent aussi de cerner la société nippone, le système éditorial, et apportent des réflexions autour des travaux des différents artistes. N’importe quel aspirant dessinateur de BD, influencé ou pas par les Japonais, peut se repaitre de pistes intéressantes pour y trouver des idées et questionner son propre ouvrage. Plusieurs interviews accordent une attention particulière sur le tabou de ce que l’on peut montrer ou non, de ce que l’on met en scène, les idées que l’on fait passer et pourquoi. Elles se penchent aussi sur la manière de travailler et brossent un rapide bilan du parcours des auteurs. Le mélange de mangakas ayant déjà une longue production et des petits nouveaux jette un pont générationnel passionnant sur la vision de leur métier et de leur monde. Dans le second numéro, la découverte et les réflexions de Dominique Veret autour d’Hiroshi Hirata, une double page sans langue de bois, évoquent la puissance d’un homme, un dessinateur proche du bushi [1] dont le charisme impose le respect tant dans son graphisme, ses histoires que dans sa présence elle-même.
Atom se pare de beaux atours : sous une douce couverture mate, un dos carré collé et 132 pages pour 9,90 € en France métropolitaine. La maquette sobre sur fond blanc s’avère agréable à parcourir, les textes aérés et des illustrations plein format permettent de profiter des graphismes variés des auteurs. La présence raisonnable des encarts publicitaires ne gâche en rien la lecture. Reste que le papier est un poil trop transparent, les notes dans les articles se retrouvent toutes à la fin et demande au lecteur une petite gymnastique de va-et-vient pouvant couper le fil de la lecture des plus tatillons.
Pour peu que l’on passe au-dessus de quelques textes jargonnant et prenant les lecteurs de haut, des avis négatifs sans arguments, la variété des plumes s’avère plaisante. Des pages denses en informations, dans lesquelles des références à d’autres mangas, films, livres, documentaires, philosophes, sociologues, mériteraient l’ajout d’une note pour les plus curieux, ceux qui ont soif de découvertes… Bien sûr, internet existe, mais pourquoi ne pas inclure l'info en marge des textes ? Il manque aussi quelques sources, en particulier pour les citations.
Atom par son ambition affichée doit tout de même faire attention à ne pas tomber dans le travers d’une intellectualisation à outrance et ne pas faire l’impasse sur certains mangas populaires en francophonie. Populaire n’est pas toujours synonyme de médiocrité.
Les critiques des mangas sont courtes, flottant dans l'espace de la page et souvent, ne présentent en rien les mangas. Elles se concentrent sur des points annexes comme le parcours de l'auteur ou les personnages...

Sur ces deux premiers numéros [2], aucune femme. Ce n’est pourtant pas ce qui manque dans les titres japonais ou traduits en français. La bande dessinée nippone propose dès la fin des années 40 des mangakas féminins qui se soucient en premier lieu des préoccupations d’un lectorat de jeunes filles avant de s’étendre dans tous les genres et tous les styles comme leurs homologues masculins.
Pourtant, en France, de trop rares et très bonnes artistes sont traduites : Rumiko Takahashi, Rei Shimizu, Moto Hagio, Yumi Tamura, Natsume Ono, Miyako Maki, Yoshimi Yoshida... il suffit de creuser. Effectivement, leurs titres sont moins connus, moins vendeurs pour la plupart autant par les sujets traités que par le graphisme souvent particulier et au contenu plus romantique, torturé, psychologique… Ces mangas souffrent d’un syndrome auprès du public : féminin, équivalent de péjoratif. Néanmoins, la revue 10000 images, le manga au féminin, proposait de revenir sur une grande partie de cette production avec intelligence.
Atom se penche sur la richesse de la bande dessinée nippone, débarrassée des clichés que l’on nous ressert jusqu’à l’écœurement avec des œuvres à l’intérêt plus que discutables, même pour du pur divertissement, et qui remplissent des linéaires dissimulant des perles que seuls les plus curieux déterrent. Une partie du lectorat se complaît aussi dans des récits similaires, ne regarde que du côté des titres ayant eu une adaptation animée, vidéo-ludique ou la puissance marketing d’un rouleau compresseur, avec toujours le même genre de graphismes qui tendent vers l’uniformisation… Ce magazine lui fournit les outils pour effectuer un premier pas.

Malgré ses  imperfections, Atom est un trimestriel haut de gamme tant sur le fond que sur la forme : prix encore abordable, textes intéressants (en excluant le jargon pompeux et parfois cette sensation de mépris pour des mangakas et les lecteurs à la Culture différente des rédacteurs...), choix des illustrations… N’importe quel amateur de bande dessinée au sens large peut y découvrir des auteurs, des mangas et bien plus. Ce serait dommage de bouder son plaisir, si pour le troisième volet, les défauts sont gommés. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il ne périclite pas d’ici quelques années à la manière d’un Kaboom, pourtant un excellent magazine dédié au neuvième art ou Otomo, qui semble déjà enterré après une unique sortie.

Atom annonce déjà sur sa page Facebook les mangakas qui rempliront le sommaire de son troisième numéro : Ryoichi Ikegami, Buichi Terasawa, Jirô Taniguchi, Kengo Hanazawa, Suehiro Maruo... pour le moment, uniquement des hommes...


[1] Guerrier japonais proche de la noblesse, à cheval, pourvu d'un arc. Le bushi n'est pas un samouraï.
[2] Le sommaire du premier numéro se consacre à Inio Asano, Shôzô Oshimi, Minetarô Michizuki, Kazuo Kamimura, Toshio Saeki, Satoshi Kon, Shigeru Mizuki, Eldo Yoshimizu, Rei Mikamoto, Shôhei Sasaki... Dans le second : Kazuo Umezzz, Hiroshi Hirata, Usamaru Furuya, Hideki Arai ou encore Atsushi Kaneko.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Uniquement dédié au manga
  • Soin du fond et de la forme
  • Longues interviews

  • Un peu jargonnant
  • Absence de dessinatrices dans les deux premiers numéros
  • Des chroniques encore assez creuses