First Look : Thorgal
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Thorgal est une série qui, mine de rien, fête ses 40 ans. En effet, les toutes premières aventures du Viking-poète-fils-des-étoiles ont été publiées dans le Journal de Tintin dès 1977. Il était normal donc de se pencher sur la Magicienne trahie, premier album de la longue série, édité en 1980 par Le Lombard, dans le cadre de notre nouvelle rubrique "First Look".

Qu'est-ce qui a fait le succès sur quatre décennies de cette saga ? Sans doute ce syncrétisme particulier, cher à Jean Van Hamme, entre plusieurs genres et styles. On ne présente plus le talent à géométrie variable de cet auteur bruxellois qui a accumulé les honneurs dans tous les domaines de l'écriture : plusieurs fois lauréat du meilleur scénario de BD et notamment pour Thorgal mais aussi pour l'universellement renommé XIII, il a également été titré dans le cadre de la littérature dramatique et a rédigé des scripts pour le cinéma et la télévision. Sans doute aussi grâce à l'acuité et la beauté formelle du trait de Grzegorz Rosinski, graphiste émigré de Pologne et très justement récompensé de nombreux prix du meilleur dessin (rien que pour Thorgal, en 1983 le Grand Prix Saint-Michel, en 1987 l'Athis d'Or). 

Pourtant, si les artistes ont tenu l'univers de Thorgal à bout de bras pendant près de trente ans (d'autres ont depuis peu pris le relais tant sur la série principale que sur les dérivées), c'est bien l'univers dense et fabuleux qui a plu aux lecteurs, ainsi que cette incarnation d'un héros terriblement séduisant malgré (ou à cause de ?) ses rares failles. Dès le départ, ce dernier nous est présenté comme un "bâtard", mis au ban de la société des Vikings du Nord que dirige Gandalf-le-Fou. Le décor est planté (les contrées glacées des terres septentrionales, quelque part vers le Haut Moyen-Age), les personnages principaux dévoilés (mais on ne sait pas grand chose d'eux), la magie présente (des objets mystiques et des créatures liés à la mythologie scandinave) et l'on comprendra assez vite le mystère entourant les origines du héros, gaillard séduisant par sa bravoure et son sens du devoir, poète dans l'âme mais guerrier par nécessité.
Si Van Hamme délivre un script intéressant parsemé de suffisamment de zones d'ombre pour nous attirer vers la suite, on reste sur notre faim avec ces enchaînements trop rapides réduisant l'aventure principale à une sorte de prologue trop prompt à se conclure.

L'histoire commence avec le roi Gandalf enchaînant Thorgal à "l'Anneau des Sacrifiés", coupable d'avoir aimé sa fille Aaricia. Avant de l'abandonner à son sort et à la marée qui finira par l'engloutir, un accès de colère lui fera balafrer le visage de Thorgal, cette balafre qui sera pour le lecteur, plus tard, le signe de reconnaissance du héros. Mais Thorgal ne mourra pas, évidemment : c'est Slive, une grande rousse borgne flanquée d'un loup, qui viendra le sauver, en échange d'un an de sa vie à son service. Une offre que notre bâtard ne peut refuser, trop heureux de pouvoir ultérieurement retrouver sa bien-aimée et, accessoirement, prendre sa revanche sur Gandalf. La vengeance est également le moteur des intentions de Slive, laquelle envoie Thorgal récupérer, dans un coffret gardé par deux monstres, les objets qui lui permettront de l'exercer. Il y parviendra, non sans mal, ce qui permettra de montrer aux lecteurs une parcelle de ses capacités.

Le récit avance vite, les péripéties s'enchaînent (Slive parvient à se venger de Gandalf et l'emmène en captivité mais tombe dans un guet-apens qui permet au roi fou de s'échapper, quoique blessé). On se retrouve automatiquement frustré, d'autant que l'histoire s'achève si vite qu'il en faille une autre pour emplir l'album, une sorte de nouvelle fantastique sur le thème de la vallée perdue et hors du temps. Thorgal est encore en devenir mais on apprécie déjà le personnage, tout comme le trait précis et fluide de Rosinski, déjà assez proche de son summum (qu'il atteindra moins de dix ans plus tard avec la saga du Pays Qâ). Le découpage est efficace et on apprécie la grâce implacable des mouvements dans les rares situations de combat, ainsi que l'intensité des regards. Les visages n'ont toutefois pas encore cette méticulosité qui frappera l'œil du lecteur dans les futurs albums, les paysages manquent de relief et la colorisation s'avère perfectible. Enfin, le lettrage demeure le point faible de l'album avec des phylactères mal définis, surtout dans les premières pages, et des lettres manquant de rigueur et de régularité, sans toutefois comporter de coquilles gênantes - cela va d'ailleurs en s'améliorant.


La Magicienne trahie, on s'en doute, n'est pas le meilleur épisode de la série, loin s'en faut. C'est de l'heroic-fantasy légère avec un background encore mal dégrossi : si le second récit, Presque le paradis..., nous évoque les alentours de l'an mille, l'historien amateur, au fil des aventures épiques de Thorgal, y verra plutôt de nombreuses allusions à des événements et personnages des VIIe et VIIIe siècles. On est loin des Vikings entreprenants et sauvages de la série TV éponyme et on n'aura jamais la moindre allusion aux royaumes britanniques ou à celui des Francs (bien que Brek-Zarith pourrait se situer en Écosse et que les derniers volumes semblent parler d'un empereur occidental ressemblant à Charlemagne). Cependant l'irruption d'éléments de SF dans la saga, et très tôt, conduit à définir un univers autrement plus vaste que celui conscrit aux fjords nordiques : oui, oui, il y aura aussi des vaisseaux spatiaux, des pistolasers et même des voyages temporels ! Une série à nulle autre pareille, d'une richesse insensée, qui commencera vraiment à se dévoiler dans le déjà excellent les Trois Vieillards du Pays d'Aran (le tome 3 de la série).


Les points positifs - Les points négatifs
  • Un héros charismatique, immédiatement sympathique.
  • Un univers fascinant entre Histoire et magie.
  • Malgré la brièveté du récit, des renseignements précieux sur le mystère des origines de Thorgal et la mythologie scandinave.
  • Une narration dynamique, privilégiant les dialogues.
  • Un travail graphique déjà remarquable.
  • Deux histoires pour le prix d'un album.

  • Frustrant, car tout va trop vite et on commençait à peine à s'habituer aux personnages.
  • Des décors un peu chiches.
  • Un lettrage perfectible.
  • Une sensation d'inachevé qui en fait davantage un prologue qu'une aventure à part entière.