Better Call Saul, l'extension haletante de Breaking Bad
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À quelques jours de la diffusion de la troisième saison de Better Call Saul [1], retour sur cette série qui porte l'héritage bien lourd de Breaking Bad mais qui réussit brillamment à s'en émanciper, tout en lui restant fidèle. Explications.



En deux saisons, le spin-off de Breaking Bad (se déroulant avant celle-ci) a réussi l’audacieux pari de ne pas suivre la même voie que sa sœur aînée devenue culte. Paradoxalement, tous les éléments propres à Breaking Bad sont toujours présents, mais cela n’empêche pas Better Call Sall d'avoir son identité spécifique. Les séries forment deux entités bien distinctes, chacune de grande qualité à leur façon, et se complètent à merveille. Les deux sont conçus par Vince Gilligant et Peter Gould.

Chaque saison de Better Call Saul s’ouvre en noir et blanc, sur une scène se déroulant quelques temps après la fin de Breaking Bad. On découvre Saul Goodman en employé de café, menant une vie morne et anonyme. Il y a fort à parier qu’une de ces scènes, à l’esthétisme particulièrement soignée, fermera définitivement la série, nous montrant ce qu’il advient du célèbre avocat « dans le présent ». Suivent dix épisodes, en couleur racontant l’ascension de Jimmy McGill, bien avant qu’il change de nom et devienne Saul Goodman, toujours interprété par l'excellent comique Bob Odenkirk. L’homme est (déjà) beau parleur, spécialiste des arnaques et habile manipulateur, régulièrement au chevet de son frère, Chuck, un brillant avocat victime d'une étrange maladie qui le pousse à rester cloîtré chez lui.

Jimmy aimerait lui montrer ses réels talents en droit, lui qui passe pour un éternel raté. En quête de respectabilité, il tente de trouver sa voie, épater son frère et gagner sa confiance, quitte à commettre quelques entorses avec la légalité. C’est là tout le sel de la série : jusqu’où Jimmy peut-il aller pour remplir ses objectifs ? Un de ses supérieurs lui dit même « tu penses que la fin justifie les moyens ». En effet, l'homme ment sans arrêt et n'hésite pas à manipuler les preuves, quitte à modifier des documents ! On suit ce « héros » avec délice, à l’instar de Walter White (Bryan Cranston) dans Breaking Bad, malgré le côté moral de plus en plus délicat et douteux. Better Call Saul est d'ailleurs proche de Breaking Bad par son savoir-faire « technique ». Même registre pour le style, même rythme atypique (une lenteur caractéristique), une géographie et quelques protagonistes identiques [2].

De la même manière : la série joue constamment entre le pathos de l’individu, l’humour noir et l'absurdité des situations (proche du cinéma des frères Coen), le tout dans une ambiance mi-urbaine mi-western. La photographie, hyper travaillée, s’attarde sur des objets du quotidien et de nombreux paysages - d'Albuquerque, toujours -, certains scènes sont contemplatives. On prend le temps de nous montrer les habitudes des personnages, on retrouve dans cette façon un ingrédient principal de Breaking Bad. La musique s’ajuste parfaitement à l’ensemble qui trouve un équilibre quasi-parfait en terme de rythme et d’écriture.


Better Call Saul ne s'attarde pas uniquement sur Jimmy, on suit également avec plaisir le parcours de Mike (Jonathan Banks), ancien flic et futur homme de main au sang-froid légendaire de Gus Fring (Giancarlo Esposito) avant d'être l'associé de Walter White. D’autres personnages permettent de nombreuses connexions entre les séries. Inutile d'avoir vu la série mère pour apprécier ce spin-off mais les deux se complètent à merveille. Better Call Saul a un côté « indépendant », un peu hors-norme et addictif. L’avocat crapuleux est assez ridicule dès ses premières années mais attachant et « gentil » malgré tout. Pour les amateurs cherchant une série originale qui se démarque des autres ou pour les passionnés de Breaking Bad souhaitant renouer avec la nostalgie et le talent de cette dernière, on ne peut que conseiller de regarder Better Call Saul.



[1] Le lundi 10 avril aux États-Unis sur la chaîne AMC. Très certainement dès le lendemain sur Netflix en France, qui propose déjà les deux premières saisons et qui ajoutait un nouvel épisode chaque semaine au fur et à mesure de la diffusion US.
[2] Marie (Betsy Brandt), la femme de Hank dans Breaking Bad, devait apparaître à la fin de la seconde saison pour s'occuper de Chuck, admis dans l'hôpital où elle travaille. Vince Gilligan espère la ramener dans la troisième saison. Gus Fring, à l'origine du mystérieux mot laissé sur la voiture de Mike a été confirmé pour cette nouvelle saison. A terme, ce sont Walter White et Jesse Pinkman (Aaron Paul) qui reviendront. Cranston s'est montré enthousiaste depuis le début de Better Call Saul et n'attend que le coup de téléphone de Gilligan pour faire revivre son célèbre personnage.

(Cet article est initialement paru dans le magazine Séries Saga #3, en juillet 2016.)

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un prolongement de l'univers de Breaking Bad très efficace…
  • …et qui propose une histoire inédite et intéressante.
  • Un style propre à la série, qui se détache de Breaking Bad tout en lui restant fidèle.
  • Le duo principal Saul et Mike (Bob Odenkirk et Jonathan Banks).
  • Les connexions et clins d'œil à Breaking Bad, toujours intelligents et pas gratuits.
  • Un mélange des genres improbable, rappelant le meilleur des frères Coen.
  • « L'après Breaking Bad » aperçu en noir et blanc en début de chaque saison, un bonus non-négligeable pour les fans.

  • Un rythme parfois trop lent.
  • Un intérêt peut-être moindre pour le non connaisseur de Breaking Bad.