Hypérion
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Nous voilà en partance pour le monde lointain d'Hypérion et ses mystères. Pour certains véritable référence en matière de SF, le roman est-il à la hauteur de sa réputation ?

Si l'on a abordé Dan Simmons par le biais de sa saga d'Elm Haven, l'on est en droit de s'attendre au meilleur tout en craignant le pire (le premier et le troisième opus étant très bons alors que le deuxième était catastrophique). L'on change cependant ici complètement de registre puisqu'il s'agit non plus d'épouvante mais de science-fiction.
Hypérion est en effet une planète sur laquelle sept pèlerins très différents sont chargés de rencontrer le Gritche, entité dont on ne sait pas grand-chose au départ mais dont l'Hégémonie redoute qu'elle (et les Tombeaux du Temps) ne puisse tomber aux mains des Extros, ces derniers menaçant d'envahir les lieux.

Hypérion est en réalité le premier roman d'un cycle (voire de deux cycles distincts) complété par La chute d'Hypérion, Endymion et L'éveil d'Endymion. Pour compliquer l'affaire, le premier livre est édité en poche en deux tomes, coupant ainsi totalement artificiellement l'histoire en deux (alors que le nombre de pages ne le justifie pas).
Sur le fond, l'auteur livre ici un récit aux thématiques très classiques (destin de l'humanité, existence des dieux et/ou du Mal, rapport à la métaphysique et aux religions, pouvoir de la littérature, etc.) mais à la forme plutôt austère, voire parfois franchement peu engageante.

Tout d'abord, le choix narratif est très particulier puisque le roman est composé des histoires personnelles des personnages principaux. L'on est donc presque plus devant plusieurs nouvelles reliées par un thème commun que réellement plongé dans un long récit unique. Ce choix, évidemment volontaire, n'est pas innocent car il hache la progression et dédramatise les évènements (qui sont rapportés et non "vécus en direct").
En plus de ce procédé, deux autres aspects (peut-être moins volontaires déjà) contribuent à rendre Hypérion difficile d'accès.

D'une part les néologismes sont légion, ce qui n'est pas grave en soi, mais ils sont ici dénués de sens la plupart du temps. Au contraire d'un Dune par exemple (qui en regorgeait mais prenait soin de les expliciter ou de les rendre compréhensibles grâce au contexte), tout est ici balancé par poignée sans souci d'éclairer la lanterne du lecteur. Technologies, personnages, batailles, objets, organisations, lieux, périodes, tout cela est étalé dans un joyeux capharnaüm certes exotique mais souvent abscons.
D'autre part, les personnages sont plutôt survolés dans l'ensemble. L'on parvient à les identifier une fois leur récit terminé, mais ils ne génèrent ni empathie ni émotion (on est loin des gamins attachants de Nuit d'Été par exemple).

Tout cela (termes incompréhensibles, personnages sans âme, succession de "morceaux" de vie) aboutit à des moments d'ennui abyssal. Et pourtant, Simmons parvient tout de même à éveiller l'intérêt à plusieurs reprises.
Si certains récits paraissent très longs (celui du père Hoyt notamment), d'autres, comme celui du poète Martin Silenus, sont tout simplement lumineux. Drôle, tragique, parsemée de références littéraires et de questionnements philosophiques, l'histoire de cet écrivain bicentenaire, revenu de tout (même d'une forme de débilité et d'un monde qui se mourait) est une pure réussite.
Il faut d'ailleurs reconnaître que Simmons parvient à donner un style bien particulier à la présentation de chaque personnage.

Enfin, nous sommes en présence d'un univers qui, aussi maladroitement qu'il soit présenté, reste riche et fascinant. Le mystère du Gritche, l'étrangeté des Tombeaux du Temps, le pouvoir du Verbe, la foi, tout cela se mélange et se complète dans un jeu de construction cynique et perfide qui perdra les moins patients des lecteurs mais gagne en cohérence et en pertinence au fil des pages.
Dan Simmons n'a pas écrit un chef-d'œuvre (pas au sens en tout cas d'un 1984, à l'intelligence visionnaire, ou d'un Des Fleurs pour Algernon, au potentiel émotionnel inégalé et à la construction rigoureuse) mais plutôt un roman intéressant, à la fois aride par certains aspects mais néanmoins intrigant voire brillant par moments.
À tester en tout cas malgré un manque de finition et des longueurs qui gâchent réellement le plaisir.


N’avez-vous jamais eu le secret sentiment que, quelque part, en cet instant même, Huckleberry Finn et son ami Jim font avancer leur radeau sur une rivière lointaine, et qu’ils sont beaucoup plus réels que le chausseur oublié qui nous a vendu une paire de souliers pas plus tard qu’hier ?
Hypérion, Dan Simmons


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le récit de Silenus, magistral.
  • Certains concepts intellectuellement excitants.
  • Un univers pour le moins riche.

  • Une narration qui ne permet pas une immersion facile.
  • Un catalogue de termes et références très SF mais opaques.
  • Des longueurs calamiteuses.