Froid comme une porte de prison
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Première série choc de HBO, Oz a été la pionnière d’une nouvelle ère du monde télévisé. De nombreux évènements marquants se succèdent dans cet univers carcéral violent et réaliste. Mais c’est aussi un lieu où l’empathie finit par l’emporter remarquablement sur les comportements les plus extrêmes. Retour à Emerald City.

En 1997, HBO diffuse une nouvelle série, très loin des sitcoms que proposait la chaine câblée américaine jusque-là. On est dans un genre totalement différent des Contes de la Crypte qui viennent de s’achever. Sans le savoir, elle propose une de ses quatre futures séries cultes (Les Soprano, Six Feet Under et Sur Écoute/The Wire suivront). Le spectateur découvre la prison de haute sécurité Oswald State Correctional Facility, alias Oz. Le seul magicien, ici, se trouve éventuellement en la personne de Tim McManus, humaniste profondément idéaliste qui supervise la section Emerald City.
Dans cette partie du pénitencier, les criminels les plus redoutables sont presque « indépendants » : chacun travaille et bénéficie d’une liberté de déplacement, uniquement dans l’enceinte d’Emerald City. Objectif : faciliter une éventuelle réinsertion. Ce programme est globalement un échec mais McManus, parfois épaulé par le directeur de Oz, Léo Glynn, tient bon et tente de ramener le plus de personnes sur le chemin du Bien. La tâche est malheureusement quasi impossible car les conflits font rage, entre agressions, chantages, viols et meurtres… Personne n’est à l’abri, tout le monde peut mourir d’un instant à l’autre. Malgré tout, McManus continue de se vouer à son projet et d’avoir confiance dans la nature humaine, même si lui-même en fait violemment les frais plusieurs fois.

Il n’y a pas de personnage principal dans Oz. Chaque épisode (d’une heure environ, une nouveauté pour HBO à l’époque) en suit une petite dizaine, du côté des détenus comme de l’équipe pénitentiaire. Seul Augustus Hill, prisonnier mais aussi narrateur s’adressant directement au spectateur, officie modestement comme fil rouge régulier. Ses discours introductifs, parfois barbants ou condescendants, prennent sens au fil de l’épisode, avec une tournure métaphorique par rapport aux situations mises en scène (relations amoureuses, peines capitales, trafics en tout genre, etc.).


Après son interminable générique, Oz présente ainsi Hill en fauteuil roulant, dans un cube en verre (comme toutes les cellules de la prison, il n’y a pas d’intimité à Em City). Il joue avec les mots et aborde la vie, la mort, l’amour, le sexe, l’enfance, le travail ou tout autre thème a priori « simpliste ». Augustus Hill est également un des rares prisonniers à éprouver de la compassion et suivre un code moral, à l’instar de Tobias Beecher et Kareem Said. Ces trois hommes ne cesseront d’évoluer. Ce sont indéniablement les figures les plus « sympathiques » de la population carcérale. Huis-clos parfois étouffant, théâtre de situations nerveuses et de fantômes en devenir, Oz accueille ces figures avec brio, relâchant parfois la tension permanente. Une nécessité. 

Les détenus de Oz n’ont pas tous commis des homicides volontaires, certains étaient « juste » en possession de drogues ou ont volé de l’argent. Pourtant, les sentences sont toujours surréalistes voire disproportionnées : vingt, trente, cent ans de prison, etc., libérable au bout de plusieurs décennies. Des décisions judiciaires très plausibles aux États-Unis. Ainsi, de simples petits délinquants, a priori des gamins paumés en quête d’identité ou de respectabilité, se retrouvent aux côtés de criminels irrécupérables. Résultat : ils sont presque obligés de s’endurcir et de devenir de véritables assassins, faute de quoi ils entrent directement dans la catégorie des faibles, des victimes, des morts en sursis. Un constat d’une tristesse abyssale, avec beaucoup de cohérence dans sa fatalité.

Avec cette presque réalité, Tom Fontana, créateur de Oz et scénariste des cinquante-six épisodes, pousse le spectateur à réfléchir. Au-delà des crimes et des peines appliquées, la réinsertion des détenus est-elle réellement possible ? La seconde chance existe-t-elle ? Les six saisons ne répondent pas vraiment à ces questions. Seule certitude : personne n’en sort indemne, aussi bien ceux derrière les barreaux que ceux devant ; les gardiens et le personnel administratif pètent aussi les plombs. Rares sont ceux qui restent solides, qui en ressortent quasiment intacts. Même parmi les plus fervents croyants. Est-ce là le triste message de la série ? On ne peut définitivement pas changer la nature humaine la plus profonde et celle d’un individu en particulier ? Ou bien est-ce le conditionnement imposé qui le pousse à conserver son comportement violent ?

La réflexion hante le spectateur, longtemps après la diffusion d’un épisode ou de l’intégralité de Oz. On peut dire que c’est l’une des plus grandes séries jamais réalisées. Si vous y pensez encore et encore, même après la fin, c’est que quelque chose vous a marqué à jamais. Outre les petits défauts déjà évoqués, la mise en scène n’est pas particulièrement originale. Pire encore : les effets « spéciaux » (principalement utilisés pour les flash-backs) ont horriblement mal vieilli. Pourtant, cela impacte peu le rendu global de la série. Celle-ci est tellement bien scénarisée et magnifiquement interprétée qu’on oublie les menues imperfections.

Surtout, les histoires entre les protagonistes sont fascinantes : il y a la voie de la rédemption de certains (Hill, Beecher et Said justement), les nombreuses manipulations d’autres (O’Reilly et Schillinger en tête), les diverses vengeances entre clans (aryens, Irlandais, Latinos, musulmans…), la place de la religion, de l’éducation et de la politique, et même les histoires d’amour (celle entre Beecher et Keller est l’une des plus belles jamais écrites pour la télé).

Le casting a marqué le monde des séries (la plupart officiant sur d'autres productions prestigieuses par la suite), certains acteurs exerçant même leurs talents avec brio sur le grand écran par la suite (J.K. Simmons, vu dans la trilogie Spider-Man de Sam Raimi puis oscarisé pour Whiplash). Chaque interprète brille par son charisme et sa justesse. Il n’y a pas de gentils et de méchants, juste des êtres humains. Point de manichéisme primaire entre les individus. Même les plus détestables d’entre eux attisent une empathie, à un moment ou un autre.

C’est là aussi l’une des grandes forces de Oz. Une banale once d’humanité, à un moment ou un autre, suffit à rendre encore plus passionnants les chassés-croisés entre prisonniers. La seule réelle déception de la série ? Elle s’est arrêté trop tôt. Une saison supplémentaire était prévue mais elle n’a jamais pu se tourner. Les intrigues sont closes mais il restera un petit goût amer, les dernières images de la série plus ou moins satisfaisantes (certains déplorent que le show ait fini par se perdre dans une surenchère de disparitions, en perdant le fil conducteur). En cause, évidemment, une audience basse outre-Atlantique.

En France ce fut catastrophique : M6 déprogramma Oz dès la fin de sa deuxième saison. Interdite aux moins de seize ans et diffusée en seconde partie de soirée, elle ne bénéficia même pas d’un doublage en français pour ses quatre saisons suivantes. L’intégrale en VOST a été diffusée par la suite. Elle est disponible en DVD, un achat indispensable pour tous les sériephiles !


Oz a marqué les esprits. Certaines séries sont depuis pensées en tant que « réelle » œuvre d’art et vecteur de réflexion. La création de Tom Fontana n’est très certainement pas étrangère à cette évolution.

Fiche technique
Créateur : Tom Fontana
Nombres d’épisodes : 56 de 56 minutes (6 saisons)
Diffusion US : HBO (12 juillet 1997 – 23 février 2003)
Distribution : Harold Perrineau, Lee Tergesen, Eamon Walker, Dean Winters, J.K. Simmons, Kirk Acevedo, George Morfogen, muMs da Schemer, Adewale Akinnuoye-Agbaje…

(Cet article est initialement paru dans le magazine Séries Saga #3, en juillet 2016.)


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers carcéral réaliste et violent.
  • Une galerie de personnages passionnants.
  • Avec un bon équilibre entre tous.
  • Portés par un excellent casting.
  • Une série qui pousse à la réflexion.

  • Quelques longueurs.
  • Des effets "visuels" qui ont mal vieillis.
  • Une fin pas forcément satisfaisante.