Les Monstres de l'Univers
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Le dernier hors-série en date du magazine Science & Vie Junior fait le point sur les "géants" du cosmos qui s'avèrent aussi dangereux que fascinants. Le tout avec l'aide de quelques super-héros en prime. On décortique immédiatement tout ça.

On apprend dès l'édito que ce numéro de Science & Vie Junior (qui, comme son nom ne l'indique pas, peut très bien être lu par un public adulte) est centré sur ce qui, dans l'univers, dépasse l'entendement. Trous noirs, pulsars, sursauts gamma, planètes océaniques, matière noire, collision de galaxies, le sommaire est suffisamment riche et éclectique pour titiller la curiosité de tous ceux que le ciel intrigue et fait rêver.

On commence "léger", si j'ose dire, avec quelques petites comparaisons entre divers curiosités cosmiques et nos références terriennes. La tempête de Jupiter (la fameuse tache rouge/ocre), grande comme la Terre ; un cratère grand comme la France à la surface de Mercure ; le mont Olympus sur Mars, qui fait passer notre Everest pour une chiure de moineau... il y a déjà de quoi relativiser, bien que l'on n'en soit encore qu'aux hors-d'œuvre.

Les véritables festivités commencent avec une extrapolation sur une hypothétique planète Mer constituée à 50% d'eau liquide (les océans de notre planète constituent à peine 0,023% de la masse terrestre) : le monde obtenu est ahurissant, des océans profonds de 7000 km abritent des monstres marins à la taille virtuellement sans limite. Bien entendu, l'article en profite pour aborder certains astres bien réels (Pluton, Europe...) qui contiennent une immense quantité d'eau sous forme de glace.

Valles Marineris, sur Mars, est un canyon qui pourrait relier New York à Los Angeles.

L'on a droit également à un portrait complet du Soleil, étoile si essentielle pour nous et pourtant dangereuse également. Outre quelques notions fondamentales sans doute connues, l'article décrit, à l'aide d'un schéma très simple, le trajet d'un photon, du cœur du Soleil à sa surface. L'on apprend ainsi que pour traverser l'enveloppe radiative, un photon va mettre environ... 10 000 ans (résultat d'une progression en zigzags, freinée par un plasma d'atomes qui conservent parfois leur électron, ce qui contribue à "capturer" puis relâcher un peu n'importe comment les fameux photons) !

L'on aborde ensuite des étoiles différente de notre Soleil, comme Rigel, une supergéante bleue, Nova Delphini 2013, une naine blanche, ou encore W. Ursae Majoris, une étoile variable binaire à éclipses (en réalité un système composé de deux étoiles si proches qu'elles partagent une partie de leur matière).
Le chapitre sur les supernovae nous dévoile tous les éléments dont nous devrions nous passer si ces astres explosifs et ultra-violents n'existaient pas : calcium, cuivre, fer, aluminium, néon, mercure, sodium, souffre, carbone... tout cela et bien plus est fourni par la fée supernovae. En réalité, le Big Bang a produit relativement peu d'atomes différents : hydrogène 1, deutérium, tritium, hélium 3, hélium 4, une pincée de lithium 7 et... rideau, on remballe les gaules, c'est fini, démerdez-vous avec ça ! En effet, après une quinzaine de minutes, l'univers s'était si étendu et si refroidi qu'il ne pouvait plus poursuivre ses petites expériences d'alchimiste ivre. Il passa donc le relai.

Le Soleil, immense à notre échelle, est un nain insignifiant à l'échelle cosmique.

Bien que l'on ait déjà vu cela dans de nombreux ouvrages, l'on dispose également ici d'un comparatif entre le soleil et des astres bien plus volumineux. Pour cela, une technique simple mais très efficace : on compare la Terre et le Soleil, puis on réduit le Soleil à un minuscule cercle et on l'entoure, sur deux belles grandes pages, d'immenses étoiles. Arcturus ou Aldébaran font déjà passer notre étoile pour un gringalet ridicule, mais d'autres, comme Deneb ou NML Cygni, défient l'imagination et ne tiennent même pas sur cette double-page. Cette dernière étoile est 4,5 milliards de fois plus volumineuse que le Soleil...

On arrive ensuite à un match entre super-étoiles et super-héros. L'on pourrait croire que, comme Roland Lehoucq (cf. cet article) se plait à le faire parfois, les journalistes scientifiques se sont amusés à faire des comparaisons "sérieuses", en extrapolant sur les pouvoirs des fameux super-héros, en fait il n'en est rien, ils servent juste d'illustration. Nous reviendrons plus tard sur cet aspect.
En tout cas, les super-étoiles méritent bien leur nom. Entre R136A1, si lourde qu'elle ne devrait pas exister, l'étoile à neutrons, dont une cuillère à café de son cœur pèse un milliard de tonnes ou encore le magnétar (moins connu que le pulsar), dont le champ magnétique pourrait vous buter à 15 000 km de distance, là encore il y a de quoi être stupéfait.

Un peu de matière de PSRJ1614-2230 dans une cuillère et même Hulk peut aller se rhabiller. Ce "carré de sucre" pèse un milliard de tonnes !

Et l'on monte encore en puissance avec la suite !
Les terrifiants sursauts gamma sont parfaitement décrits, avec notamment une sorte de schéma/fresque qui explique les effets désastreux d'un sursaut gamma touchant la Terre. Et je vous assure que le "moins" pire sera les communications radio brouillées et les satellites hors service. Entre la destruction de la couche d'ozone, les pluies acides, la destruction du plancton qui aboutit au bouleversement de tout l'écosystème et autres joyeusetés, ça ne donne pas envie de découvrir le phénomène en vrai.

Cap ensuite sur un trou noir, aux propriétés tout bonnement presque "magiques". Là encore, de nombreux dessins et schémas expliquent parfaitement le principe de la déformation du tissu de l'espace-temps. On nous rassure aussi en nous expliquant que si un trou noir possède un appétit certes vorace, il doit être relativement "proche" pour réellement constituer une menace (41 millions de km, en comparaison, si le trou noir au centre de notre galaxie occupait la place du Soleil, il ne représenterait pas un danger pour la Terre qui se trouve à 150 millions de km).
Le magazine se penche ensuite sur la collision future entre notre galaxie et celle d'Andromède, sur la théorie de la matière noire, et cette incroyable épopée se conclut par quelques conseils de lecture pour approfondir le sujet.

Le sursaut gamma : l'une des plus terrifiantes menaces venues de l'espace.

Sur le fond, c'est tout simplement passionnant. C'est de la très bonne vulgarisation, autrement dit, une maîtrise parfaite de l'art qui consiste à mettre l'ahurissant à la portée de tous. La magie sans les équations rébarbatives disons.
Sur la forme, je suis un peu plus réservé. En effet, Science & Vie a opté pour des mises en scène parfois un peu lourdes. Par exemple, l'article sur le Soleil utilise la première personne, comme si l'astre s'adressait à nous et livrait ses états d'âme. Pour la partie sur les étoiles pas "ordinaires", l'auteur de l'article tente de nous plonger dans une fiction ayant pour point de départ la recherche d'une planète habitable. Même chose pour le sujet sur les trous noirs, qui met en scène une expédition fictive et le récit d'un adolescent qui y prend part suite à une petite annonce lue dans l'astroport de Nouvelle Brest, avec une ambiance qui se veut un peu "pirate de l'espace".
Je suppose que tout cela est lié à l'aspect "junior" (un peu comme les dessins de super-héros, qui sont finalement sans rapport avec le contenu). Ce n'est pas tellement gênant mais ça reste tout de même de la mauvaise fiction qui me semble alourdir le propos. On se fiche pas mal du délire des rédacteurs et l'on a plutôt envie de rentrer tout de suite dans le vif du sujet (ce qui n'empêche pas le côté didactique et accessible, voire l'humour, cf. les ouvrages de Brian Greene).
Enfin, bon, ça reste tout à fait lisible et ça amusera peut-être les plus jeunes.

La lumière d'une naine rouge comme l'étoile de Barnard teinterait le ciel d'une planète dotée d'une atmosphère d'un magnifique rose.

Voilà donc un excellent magazine, richement illustré et regorgeant d'informations fascinantes. Pour 5,50 euros, prix modique en regard de la somme de travail, il serait dommage de s'en priver.
Les adultes ne doivent pas se sentir freinés par le "junior", le contenu est suffisamment riche, varié, dense et hallucinant pour convenir à tous les âges.
Totalement conseillé.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • De la vulgarisation de qualité.
  • Fascinant.
  • Nombreux schémas et illustrations.
  • Rappel de définitions importantes grâce à un très pratique système de surlignage et d'encadrés.
  • Grande variété des sujets abordés.

  • Le parti pris du récit tirant parfois sur la fiction de seconde zone.
Bedlam : meurtres, rédemption et... déception
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Serial-killers et crimes violents sont au menu de Bedlam, un comic publié chez les Humanoïdes Associés.

Fillmore Press a de nos jours une vie presque normale. Il suit bien une psychothérapie, est sous médicaments et a des réactions parfois étranges, mais il n'est plus un danger pour la société.
Autrefois, il a été Madder Red, un effroyable tueur dont la spécialité était le massacre de jeunes enfants. Après avoir été considéré comme mort, l'auteur de ces atrocités finit par subir un traitement médical pour le moins... spécial.
Au bout de dix longues années, le traitement semble avoir fonctionné : Fillmore ne souhaite plus que s'intégrer et faire le bien autour de lui. Aussi, quand il découvre une affaire sordide dans les journaux, il décide de tout faire pour aider une jeune inspectrice à découvrir le coupable.

Les Humanos, maison déjà bien célèbre dans le monde de la bande dessinée et qui a fêté ses 40 ans d'existence l'année dernière, lancent leur propre collection comics avec notamment au menu ce titre écrit par Nick Spencer (Ant-Man, Morning Glory Academy, Ultimate X-Men, Superior Foes of Spider-Man) et dessiné par Riley Rossmo.

Évidemment, vu le propos, le ton est assez sombre (et donc très différent de l'excellent Superior Foes évoqué plus haut par exemple). Spencer débute son récit par une scène choc dans laquelle l'on découvre Madder Red dans ses œuvres. Les bribes de conversation radio entre flics laissent entrevoir la confusion qui règne alors que le lecteur pénètre lentement dans une salle de spectacle qui accueillait une sortie scolaire et regorge de cadavres.
Le récit principal, qui se déroule de nos jours et suit un Fillmore "guéri", est entrecoupé de flashbacks revenant sur ses "exploits" passés et les soins prodigués ensuite par un médecin lui-même assez flippant.

Le style graphique, brut, nerveux, sert bien l'ambiance. La colorisation permet également de bien séparer visuellement les scènes passées et présentes (les analepses sont en noir et blanc, seulement rehaussées de pointes de rouge sang).
Cependant, malgré une bonne idée de départ et quelques trouvailles intéressantes, l'histoire peine à convaincre vraiment. Pour plusieurs raisons d'ailleurs.

Le récit, plutôt à la base une sorte de polar sombre ou de thriller horrifique, verse également dans le genre super-héroïque. On ne peut en effet s'empêcher de penser au Joker et à Gotham, d'autant que Bedlam se voit affublée d'un super-héros local, en apparence sans pouvoirs, et qui s'apparente franchement au Dark Knight (bien que son look évoque plus Moon Knight en réalité).
On se demande presque si ce côté super-héroïque, bien que light, n'est pas en trop et simplement présent pour s'assurer quelques ventes en plus (on sait que c'est le genre roi au Etats-Unis en matière de BD). Sans The First (le justicier en question), tout pourrait exactement se dérouler de la même manière (on peut parfaitement imaginer un détective privé ou un chasseur de prime tenant son rôle) [1].


Outre ce mélange non fondé des genres (si cela servait l'histoire, cela ne poserait aucun problème), l'aspect gore et ultra-violent parfois peut également se discuter. On a l'impression, ces dernières années, que les comics "voulant faire sérieux" n'ont que deux choix : ou verser dans la surenchère au niveau de la barbaque et du ketchup sur les murs, ou pondre des trucs imbitables et chiants qui se veulent intelligents. Si ce sont bien ces derniers les pires, cela ne nous dispense pas d'une réflexion sur la violence lorsqu'elle devient systématique et outrancière [2].

On ne peut pas non plus se débarrasser d'un vague mais constant sentiment de déjà-vu. Bedlam emprunte sa thématique à un grand nombre de films (Seven, Le Silence des Agneaux, Le Sixième Sens (de Michael Mann, à ne pas confondre avec Sixième Sens de Shyamalan) et même Destination Finale d'une certaine façon) ou romans.
Le tueur en série qui aide la police n'a rien de nouveau, pas plus que le côté christique et religieux des meurtres. De plus, l'aspect qui aurait pu être réellement intéressant, à savoir la psychologie de l'ancien serial-killer, sa manière de voir le monde, les actes des autres tueurs, reste très peu développé.
Il faut dire que le support BD ne se prête pas naturellement aux longues séances d'introspection (plus aisées à rendre dans un roman) et que Spencer ne parvient pas à trouver un moyen de transcender son personnage principal ou de simplement le rendre réellement intéressant.

C'est au final sans doute le principal défaut de Bedlam, un défaut malheureusement rédhibitoire : Fillmore Press est fade et ennuyeux, trop normal pour être bandant. Alors que c'est au contraire le genre de personnage décalé qui pourrait avoir un regard original (drôle, acide, désespéré, peu importe) sur le monde, il n'est qu'un enquêteur doué, un peu perturbé, et encore, mais sans rien de bien passionnant. En près de 200 pages, il n'y a qu'une scène ou cette inadaptation du personnage est bien exploitée (dans un dialogue, vers la fin) [3]. C'est carrément rageant. C'est comme si un auteur disposait d'un type comme Superman, qui peut voler, et qu'il le gardait au sol tout le temps, le faisant se déplacer en taxi, en bus, etc.
Parce que Fillmore Press est socialement inadapté, parce qu'il a énormément souffert, parce qu'il était complètement dingue et a fait souffrir également, sa psyché, forcément peu commune, aurait dû sous-tendre le récit, lui donner une véritable épaisseur et un goût inimitable.
En cela, c'est totalement raté.


Difficile pourtant de rendre une sentence définitive. Croyez-moi, Virgul était bien embêté. Vous savez que notre sympathique mascotte a une mission : vous indiquer, en fin d'article, si l'achat est vivement conseillé, conseillé, déconseillé ou vivement déconseillé. Dans le cas présent, il a été difficile de trancher. Car si Bedlam n'est pas un chef-d'œuvre et comporte des aspects putassiers ou maladroits, l'on ne peut pas dire non plus que ce soit un ratage complet ou que l'on passe un mauvais moment en lisant ce premier tome. Au terme d'un long échange, où j'exposais mes arguments tandis que Virgul grignotait quelques croquettes en lorgnant paresseusement vers la fenêtre où s'agitait un moineau ou quelque pipit farlouse, il me posa finalement la question la plus sensée : miaw ? (ce qui, en langage chat, veut dire "est-ce que tout bêtement tu achèterais le tome #2 ?").
Eh bien non [4]. Pas parce que je n'aime pas (au contraire, le thème, le personnage, le style graphique, tout cela m'attirait, bien que l'on se fiche pas mal ici de mes goûts personnels) mais parce que ce récit n'est pas bon, au sens où il n'est pas suffisamment abouti.

Bedlam aurait pu être drôle, ce n'est pas la piste qui a été retenue par l'auteur, c'est tout à fait son droit.
Bedlam aurait pu être émouvant, il ne l'est pas (Press n'est pas spécialement sympathique, on se fout de ce qui lui arrive).
Bedlam aurait pu être innovant, il ne l'est pas non plus (la moindre scène a déjà été vue ou lue de nombreuses fois).
Bedlam aurait pu enfin tenter le pari du réellement bizarre (et intellectuellement excitant) en nous proposant de nous engouffrer dans les méandres d'un esprit "dérangé" en quête de rédemption et de sens, là encore ce n'est pas le cas.
Et... à force de ne rien exploiter, on finit par ne pas raconter grand-chose.



[1] Dans un genre certes très différent, Dan the Unharmable piochait déjà, sans que l'on comprenne pourquoi, dans les poncifs super-héroïques.
[2] Les exemples de titres très violents, ne lésinant pas sur le gore, ne manquent pas : No Hero, Luther Strode, Crossed, Black Summer... cette violence est parfois justifiée, d'autres fois moins. Il ne s'agit pas non plus de tomber dans le politiquement correct et d'interdire la représentation de cette violence, mais les auteurs, les éditeurs (et pourquoi pas les lecteurs) peuvent - et sans doute doivent - s'interroger sur sa pertinence.
[3] Attention Spoiler. Quand Press rencontre le type qui "pilote" le serial-killer, cela donne lieu à un long dialogue et notamment à un échange excellent que je reproduis ci-dessous.
- Vous voulez qu'on parle de mon cher Eric ?
- Ben, faut dire qu'il est en train de tuer beaucoup de gens.
- Savez-vous qu'il m'a rendu visite chaque semaine depuis que je suis ici ?
- Désolé, je n'ai pas voulu insinuer qu'il n'avait pas de bons côtés.
Cette partie-là est très finement écrite. D'abord c'est drôle, même si la drôlerie d'une scène est une affaire d'appréciation personnelle et d'inclinations, mais surtout c'est la seule fois où la particularité psychologique de Press est bien employée. Il n'essaie pas de manipuler son interlocuteur ou de faire de l'ironie, il pense ce qu'il dit. Et c'est cette franchise qui, dans le contexte, rend drôles les propos tenus ("drôle" pas seulement au sens humoristique mais aussi au sens "bizarre"). Personne ne cherche à savoir si un tueur en série a de bons côtés, c'est une démarche socialement mal acceptée, sans doute avec raison, mais ce décalage, cette froideur, cette "innocence" presque (même si le mot semble difficilement employable à l'égard de Press) aurait dû faire tout le sel du personnage, et donc du récit.
[4] Même si le prix est très correct pour la version papier (une quinzaine d'euros) et encore plus pour la version Kindle : 1,99 € ! Pour une fois que le prix du support numérique n'est pas honteusement élevé (cf. Légendes de la Garde par exemple)... Attention cependant au niveau des Kindle, il en existe plusieurs, ceux qui sont particulièrement bien adaptés à la lecture de romans (notamment le Paperwhite, cf. cet article) ne sont pas du tout conçus techniquement pour lire de la BD dans de bonnes conditions. Et inversement.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Ambiance graphique.
  • Scène d'ouverture.

  • Déjà-vu.
  • Une complaisance pas toujours indispensable pour le gore.
  • Un personnage à la richesse réelle mais totalement inexploitée.
  • Platitude de tous les personnages secondaires.
  • Un lien avec le genre super-héroïque qui semble au minimum superflu.
Atlas des reflets célestes : l'art du voyage immobile
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Atlas des reflets célestes fait partie de ces livres qui, malgré la présentation de l'éditeur, le résumé de 4e de couverture ou l'avertissement de la préface d'Alberto Manguel, finissent par vous interloquer, vous surprendre, vous charmer et vous faire rêver. Quelle que soit l'oeuvre artistique présentée, parvenir à engendrer ces réactions est signe d'une réussite presque absolue. Presque parce que, de par sa nature même, sa narration particulière et sa présentation, le livre aura peut-être du mal à passionner. Mais quel pouvoir de séduction dans ces phrases, quelle richesse de l'Imaginaire entrevu !

Ce quatrième roman (car c'en est un) du serbe Goran Petrovic sera peut-être plus aisément abordé par les lecteurs réguliers, les bibliophiles avides de nouveauté ou d'exotisme, les clients de chaque Goncourt ou Renaudot ou les piliers des librairies mainstream. Pour quelqu'un comme moi qui préfère de loin la littérature de genre, l'ouvrage est assurément étonnant. Mais dans le bon sens. 

L'étonnement émane d'abord de la lecture de la préface, dans laquelle l'écrivain franco-argentino-canadien, lauréat de nombreux prix et distinctions, dit non seulement son admiration pour le texte à suivre de son homologue serbe, mais choisit d'insister sur la nature de l'ouvrage, cette manière particulière de présenter des planches (on est plus près du traité d'histoire naturelle ou du catalogue d'exposition que du répertoire cartographiques comme le suggère le titre) en choisissant la description littéraire de l'œuvre d'art représentée (photo, triptyque, statue, miroir, miniature, toile, monument, etc.) plutôt que son image : ainsi, plutôt que de nous montrer, par exemple, une photo de ce portail de marbre au visage d'ange sculpté, on aura droit à un encadré contenant un texte inspiré par l'œuvre elle-même, suivi d'un cartouche contenant toutes les caractéristiques (titre, auteur, dimensions, dates et propriétaire ou lieu d'exposition). 52 planches forment ainsi le squelette de cet Atlas à nul autre pareil.

Heureusement, pour le lecteur lambda, habitué aux récits plutôt qu'à une liste d'éléments apparemment sans lien entre eux, les planches sont séparées par des petits paragraphes dans lesquels nous faisons la connaissance de huit individus logeant dans une maison sise dans un quartier tranquille. Construite comme une série de tranches de vie, l'histoire que le narrateur nous rapporte à la première personne (presque toujours du pluriel, car il ne nous est jamais donné la possibilité de déterminer lequel des personnages cités il incarne) nous dévoile les petites manies de chacun de ces hommes et femmes, leurs envies, leurs craintes, leurs passe-temps et, surtout, leurs rêves. Et c'est dans ces petits sketches, écrits avec une élégance presque surannée et une méticulosité confinant à la maniaquerie, le long de ces phrases-gigognes alignant les compléments et transformant chaque récit en recette de cuisine illusoire, qu'on ira de bizarreries en songeries, basculant avec une infinie délicatesse entre les réalités, accélérant ou ralentissant le temps, figeant les ombres et modelant la lumière.
Il y a de la magie dans cet Atlas étrange, une magie puisant dans nos mémoires, nos traditions et chaque élément de notre culture, mais sans ces constants coups de coude et clins d'œil appuyés des auteurs et réalisateurs contemporains : oui, on trouvera des références, de Borges à Vian pour les plus parlantes, mais on y trouvera aussi le surréalisme d'André Breton, la féérie de Tolkien et même un peu du Lovecraft des Contrées du rêve (j'ai parfois eu des réminiscences des Chats d'Ulthar). Ce qui est frappant, c'est que nonobstant le fait de citer sans vergogne Umberto Eco, Salman Rushdie ou Dante, l'auteur insère des références plus obscures et parfois totalement fantaisistes, brodant une trame où réalité et fiction s'entremêlent inextricablement, créant comme pour un manuel de jeu de rôles des lieux, des bibliothèques et des musées imaginaires.

De fait, ce roman est essentiellement poétique, puisant sa force de persuasion et sa puissance onirique dans la richesse de son vocabulaire et des images qu'il engendre.
Dans cet univers balisé, le quotidien d'une cité européenne, avec les voisins râleurs et le facteur compréhensif, on a tôt fait de s'apercevoir que "ces gens-là" ne sont pas comme nous. D'abord, la première chose qu'ils décident de faire, c'est d'ôter le toit de leur maison. Pourquoi ? Pardi, pour avoir un toit bleu à la place, celui du ciel, à la fois miroir, horizon et destination - et se nourrir de sa bleuissance cajoleuse et bienveillante. Tout se passe dans ces petits épisodes d'une vie en apparence tranquille comme si la fantasmagorie dans laquelle ils évoluent faisait intimement partie de notre monde, bien qu'invisible, "indicible" pour la plupart des esprits obtus qui le peuplent. Car à les voir, on peut cultiver les fleurs de félicité, s'éclairer aux brins de lune, échanger des rêves, des grains de beauté ou des ombres, coudre des oiseaux dans des châles ou en abriter dans des chignons, changer de taille en comblant le Vide, envoyer des lettres depuis le royaume des morts, se mirer dans des miroirs qui peuvent refléter le passé ou le futur ou être muet mais chanter magnifiquement, au point de rassembler les étoiles au-dessus de soi.
Ils ont une tante merveilleuse qui passe par les miroirs chaque année afin de les aider à préparer des amulettes, quand elle ne chasse pas les spectres en Amazonie ou qu'elle ne transforme pas les nuages en géants aimables. Ils ont la possibilité de consulter la Serpentiana, sorte d'encyclopédie absolue et infinie, conçue dans un lieu hors du temps et de l'espace - qui rappellera des souvenirs aux rôlistes -  susceptible de toujours s'ouvrir à l'article voulu. Ils collectionnent les contemplations de couchers de soleil, les allumettes consumées, les odeurs, les pelotes d'énigmes ou les cartes qui ne sont ni du ciel ni de la terre.


Ils préfèrent la vie lente, sans pour autant être contemplatifs et, indéniablement, connaissent les secrets ancestraux de la Nature, ceux que l'Homme a préféré enfouir au plus profond de son âme pour son propre confort. Enfin, surtout, ils font tout pour que leur vie soit emplie de joie, quitte à s'organiser des jeux afin d'éviter de lire de mauvaises nouvelles (on ne sait jamais, avec la poste) : ils s'évertuent perpétuellement à embellir l'Espace dans lequel ils se meuvent. Leur univers est le nôtre, mais un nôtre infiniment plus grand, car ils ne tiennent pas compte de nos barrières : ils peuvent aller où bon leur semble en suivant les dix millions de chemins d'espoir que proposent leurs songes, ils peuvent voler avec leurs cils, et se souviennent des récits racontant comment aller sur la Lune dans des bateaux en papier aux voiles couvertes de poèmes... Leur quotidien n'est pas rose pour autant : ils sentent le Vide autour d'eux, cette ombre pernicieuse qui s'insinue partout, des recoins des maisons aux angles des âmes et il leur arrive d'en subir les attaques de plein fouet. Sacha est amoureux mais ne sait comment plaire ; Andrei vit prostré dans l'ombre de sa compagne disparue et passe ses journées à mémoriser les horaires des transports, persuadé qu'elle reviendra ; Esther est fascinée par un acteur de cinéma qui ne s'intéresse qu'à son âme et Lyslys désespère de ne pouvoir grandir.

Atlas des reflets célestes est un roman d'une beauté stupéfiante, empli d'une poésie tendre festonnée de nostalgie, s'évertuant à replacer les êtres oniriques, les mages et les fées au sein de notre réalité, s'amusant à nous titiller afin qu'on ouvre les yeux et nos esprits un peu plus grand à chaque fois. Les émotions y sont parfois violentes mais sages, narrées avec une pudeur délicate qui trahit l'affection que porte l'auteur à ses interprètes archétypiques d'une romance suave en forme de voyage immobile, comme si l'on lisait un guide du voyageur imprudent sur les routes de l'Imaginaire. On y sent l'amour des mots et cela suffit pour qu'on commence, une fois la dernière page tournée, à emplir de rires des ballons de baudruche afin d'alléger un quotidien empli de Vide.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Edition de qualité, tant dans la mise en page soignée que dans la typographie.
  • Presque aucune coquille relevée.
  • Un style riche et élégant.
  • Un univers singulier et captivant.
  • Une ambiance particulière et originale.

  • Couverture assez laide.
  • Demande un petit temps d'adaptation.
  • Une tendance à l'accumulation dans la prose (beaucoup de listes exhaustives, qui peuvent freiner la lecture).
Gaspard de la Nuit
Par

" Le monde est étrange, tu sais. Ceux qui croient très bien le connaitre s'y perdent souvent. Et ceux qui pensent tout en ignorer y retrouvent bien des souvenirs" [1]



Je ne remercierais jamais assez le Bibliobus d'avoir laissé des BD en dépôt à la mairie du village dans lequel je vivais enfant. Gaspard de la Nuit, fabuleuse série que j’ai eu un mal fou à rendre, est l’une des meilleures bandes dessinées tout public se déroulant dans un univers merveilleux que j’ai lue.

Alors que le soir tombe, Gervais et son ami envoient par mégarde leur avion miniature dans la propriété d’un apothicaire. Le jeune garçon entre par effraction afin de récupérer son jouet, mais dans le dédale des pièces il pénètre dans une salle dont les murs sont recouverts par des masques diversifiés qui lui parlent ! À sa grande surprise, l'un d'eux lui demande son aide. Il lui explique qu’il a jadis été un adolescent et que Satrape l’a métamorphosé en masque. Comme pour la taxidermie [2], la masquération [3] permet de conserver le visage pourvu de sa conscience. Le masque du jeune garçon souhaite retrouver son corps. Gervais se saisit du faciès de bois et fuit. Poursuivi par le maitre des lieux, il pénètre dans un passage ensorcelé qui l'amène dans un univers parallèle : Le monde magique de la Nuit, un lieu rempli de féérie exploité par de cruels hommes stricts. Ils produisent toutes sortes de fantasmagories qui sont expédiées dans l'univers des terriens pour adoucir, émerveiller et égayer leurs normes vies. Sa figure désormais dissimulée par celui du masque — le masque ayant adopté en échange ces traits — Gervais endosse son identité. Il se fait appeler Gaspard, un étudiant très turbulent du mutinatoire de Magençais, une école située dans un château où l'on apprend, par ailleurs, la magie et la malice. Mais sa nature humaine est découverte. Il s’enfuit vers la capitale où règne l’Enfant-Roi dont il espère l’aide. De fil en aiguille, Gervais/Gaspard est coincé dans un complot politique autour du jeune souverain. Dans sa quête pour aider son masque à retrouver son corps – s’il existe toujours — ainsi qu’un moyen pour rentrer chez lui, il croisera les rejetons autoritaires du Duc, Kargus et Bali, le Prince des larmes sèches, le masquereur, et de très nombreuses créatures inquiétantes.

Édité par Casterman à la fin des années 80, Gaspard de la Nuit a été écrit par Stephen Desberg et mis en images par Johan De Moor, fils du dessinateur Bob de Moor. Johan De Moor entre aux Studios Hergé dans les années 1980 pour travailler sur Tintin et l'Alph-Art puis sur Quick et Flupke ( le dessin anime et les albums). Les premières planches de Gaspard de la Nuit sont encore imprégnées de l'influence pesante d'Hergé. Heureusement, l'auteur s’en affranchit rapidement. Les décors, les personnes, l’encrage se complexifient, deviennent tortueux, douloureux, angoissants. Les cases sont recherchées. Les pages regorgent de vraies réussites visuelles, que ce soit dans les arrière-plans ou dans les scènes avec de la foule. Le dessinateur puise dans diverses sources d’inspirations, dont Bosch (p29, tome 3). Le titre, quant à lui, rappelle immanquablement Gaspard de la nuitFantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot —, un recueil de poèmes en prose écrit par Aloysius Bertrand, et le triptyque pour piano que Ravel en a tiré.

Les quatre albums qui composent cette série à destination de la jeunesse foisonnent d’idées. L’histoire est tour à tour onirique, troublante, cruelle, noire, cauchemardesque. Le monde dépeint est complexe et merveilleux : parfumeurs, plantes, animaux et jouets animés. L’intrigue ne traine pas : dès le second volume, un coup d’état vient renverser les enjeux. L’atmosphère se fait oppressante et violente. Gervais doit survivre dans un pays dont il ne connait ni la géographie ni les us et coutumes. Malgré ses premières peurs, il est vite subjugué par la beauté qui l’entoure. Au fil des pages, son caractère évolue. Il devient plus courageux, entreprenant, colérique, impatient et se confond avec Gaspard. Le masque, ressemblant au visage de Gervais, voit aussi son tempérament se modifier : jaloux, traitre… Les personnages qui l’accompagnent n’ont pas des réactions prévisibles. Le Duc, fomenteur du coup d’État, n’hésite pas à tuer devant toute une assemblée son propre fils. Des scènes sont poignantes dans leur cruauté mais jamais gratuites. En ce sens, Gaspard de la Nuit ne prend pas ces lecteurs pour des imbéciles et n’utilise pas de gants pour être clair dans son message.
Gaspard de la Nuit aborde des thèmes sérieux : colonisation, profit, lutte de pouvoirs, faux semblant, manipulation et identités interchangeables en posant un masque sur son visage, ce qui modifie aussi le physique. L’aventure, passionnante, recèle néanmoins des faiblesses : Gaspard, le jeune homme masquéré, n’est pas développé. De rares informations transparaissent sur sa personnalité d’avant sa métamorphose. On ne sait pas non plus comment il supporte sa condition de masque et ce qui le pousse à la trahison. La première partie du récit se termine en trois volumes et laisse un goût de précipité. Le quatrième offre une histoire auto-conclusive qui creuse un peu plus l’univers original de La Nuit.

Gaspard de la Nuit demeure une aventure marquante grâce à son pays captivant, pourvu d’un graphisme qui sort du commun. Il ne faut pas se fier à l’aspect désuet des couvertures qui ne font pas honneur au contenu. Cette trop courte série n’a jamais été rééditée. Elle est encore disponible dans les réserves des bibliothèques, en occasion ou dans les fonds de placards de certaines librairies ! 

[1] Gaspard de la Nuit, de l'autre côté du masque, p.23.
[2] L’art de préparer, d’empailler les animaux vertébrés morts pour les conserver avec l’apparence de la vie.
[3] L'un des nombreux néologisme créé par le scénariste, Stephen Desberg.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'univers dépeint
  • Le graphisme

  • Jamais réédité
  • Une fin rapide
The Infinite Loop, tome 1 : L'éveil
Par
En 2014, Elsa Charretier et Pierrick Colinet, tandem ayant déjà œuvré sur AEternum Vale, lancent une campagne de financement sur Ulule afin de permettre la parution de The Infinite Loop en édition limitée, à l'attention seulement des souscripteurs. Le projet fait un tabac et récolte plus de 250% de l'objectif initial. Grâce à la somme atteinte, les auteurs sont en mesure d’offrir une traduction à leur bébé et de partir à la conquête du marché anglophone : IDW le publie outre-Atlantique en avril 2015. Les retours du titre ne manquent pas d'attirer l'attention de l'éditeur français Glénat, qui décide à son tour de le publier ce mois-ci (26 août) dans sa langue d'origine ! It was high time !

The Infinite Loop se passe dans un futur où les extrêmes ont été éradiqués (amour/haine, clarté/obscurité) pour assurer la sécurité de tous et où les voyages temporels se sont développés. Teddy, un agent correcteur d'anomalies, a pour charge de voyager dans le temps et de s'assurer que chaque événement passé se déroule comme de coutume pour éviter des conséquences inconnues sur le futur. C'est donc ça la fameuse boucle infinie. Teddy suit son travail à la lettre sans jamais se questionner sur les anomalies à supprimer dans les différentes timelines, celles-ci étant causées par les "forgeurs", un groupuscule de marginaux. Mais tout change lorsque l'inébranlable Teddy fait la rencontre d'Ano, première anomalie à forme humaine de toute beauté. A cet instant, son libre-arbitre, si longtemps refoulé, resurgit et elle décide d'outrepasser le règlement pour lui sauver la vie.

Tout comme Kelly Thompson (auteur de The Girl Who Would Be King, Womanthology, Captain Marvel and the Carol Corps) qui signe la préface de ce premier tome, les voyages temporels et moi, ça fait deux. Je comprends le concept et tout le potentiel qu'il recèle. Je comprends que c'est un jeu dangereux et qu'il faut s'y frotter avec vigilance. Je comprends qu'on n'est pas en droit de changer les événements passés au risque d'en produire de nouveaux pires encore. Cependant, au vu de toutes les incohérences qu'ils génèrent, je finis par être paumée.
Je pense à des questions d'éthique et de chances loupées ; à une indifférence totale des voyageurs temporels face à des faits tragiques qu'ils pourraient éviter. Je pense à ces films totalement mindfuck comme Predestination où le protagoniste à l'occasion de se tuer dans le passé pour éviter son futur destructeur, et qu'il n'en fait rien. Et ça me désole, ce manque d'initiative, de courage pour permettre au monde d'évoluer, cassant ainsi cette éternelle routine. Car tant qu'on ne fait rien par peur de l'inconnu, on reste prisonnier de cette boucle infinie, et surtout, on s'interdit un monde qui pourrait finalement se révéler meilleur que celui dans lequel on vit.


Mais, la science-fiction n'est ici que secondaire (bien que traitée intelligemment et il est intéressant de voir que le récit s'axe justement sur les anomalies, les incohérences générées par les voyages temporels) et ne sert finalement que de catalyseur à la narration afin d'amener les thèmes qui tiennent à cœur aux auteurs.
The Infinite Loop est d'abord une ode à l'AMOUR. Pierrick Colinet et Elsa Charretier auraient pu choisir un couple hétérosexuel, cela aurait tout autant marché étant donné que n'importe quelle relation est hors-norme dans cette réalité. Mais le symbole est d'autant plus fort avec un couple lesbien puisqu'il s'inscrit dans une question sociale d'actualité pour faire barrage à une homophobie rampante, et plus globalement à mon sens, à la peur de l'autre, de l'étranger.
Mais plus encore, c'est une ode à la LIBERTÉ. The Infinite Loop se concentre sur le libre-arbitre et la force nécessaire pour le reprendre en main, sur la capacité à être soi-même seul détenteur de son destin (je parle ici de destin et non de futur car, bien que la connotation que ce terme entraîne soit -à l'origine du moins- reliée à la fatalité, à l'impossibilité de choisir un parcours autre que celui qui a été dicté pour nous, toutes les Teddy des différentes époques ont connu Ano et se sont battues pour elle… Teddy n'est finalement pas si libre et s'avère être prisonnière de la boucle infinie, le scénario s'étant déjà produit et se produira surement encore), d'aller au-delà des normes imposées par la société pour choisir ce qui est juste.


Ce déclic que Teddy a eu en découvrant Ano, et la remise en question du règlement, ont évidement eu des incidences. L'on découvre donc les réactions qu'ont les individus (au travers de Noël et Léon, personnifications de la Norme par excellence) face à cette anomie et leur profond dégoût en apprenant la relation qu'entretiennent nos héroïnes. Et le fait que cela se passe dans une réalité qui n'est pas la nôtre est plus propice encore à la prise de recul nécessaire face aux  positions extrêmes (allant jusqu'à la mise à mort) que peut avoir l'opinion lorsqu'un individu sort des sentiers battus.
En vivant cachées dans une brèche temporelle à l'abri de tous, Teddy espère pouvoir vivre heureuse avec Ano. Mais cette dernière commence à s'ériger en véritable porte-parole des anomalies humaines (et de fait de l'homosexualité) et nous expose, de façon un peu mécanique, des pamphlets sur la nécessité d'être reconnue par la société et de se battre pour ses valeurs.

Toute cette thématique a été traitée par Pierrick Colinet avec brio (mais à mon goût pas assez approfondie), et il en a fait ressortir toute la poésie qui y est assimilée par la simplicité et la pureté des mots employés qui trouvent forcement écho dans l'esprit du lecteur. Et pour une submersion totale, l'aspect poétique de ce titre se retrouve également au travers des dessins d'Elsa Charretier qui semblent couler, suivre le cours de l'histoire par leur fluidité.
Sur certaines pages, les paroles sont absentes parce que d'aucune utilité, laissant la part belle aux images qui dégagent à la fois la force du récit (reprise en main de la liberté qui peut être violente, cf. les références historiques présentes dans le récit) et sa suavité (au travers de l'amour et de la sensualité, aidée par une colorisation pastelle).
Je félicite le travail de la dessinatrice sur la totalité de ses planches, tant son style, hybride entre Tim Sale et Darwin Cooke (deux de mes artistes chouchous, just saying!), est maîtrisé. J'ai particulièrement apprécié la mise en page en "arborescence", très réfléchie et assez déstabilisante au début il est vrai, lorsqu'il est question de poser sur papier les différents scénarios qui s'offrent à Teddy.

Enfin, il est important de s'attarder sur les bonus qu'offrent ce premier tome : les couvertures des différents épisodes (dont celle de la génialissime Stéphanie Hans), le processus créatif d'Elsa Charretier et des commentaires sur sa manière d'opérer, des scripts de Pierrick Colinet et ses indications pour la mise en page, et, last but not least, une postface bien garnie signée Katchoo, grand gourou de l'homosexualité dans les comics, qui nous retrace son historique.

En bref.
The Infinite Loop, c'est le genre de comic que j'aime, où la simplicité et la fluidité sont maîtres, tant dans les mots employés que dans les formes qu'épousent les personnages. La collaboration du duo se fait ressentir jusque dans la qualité de l'ouvrage et, comme si ce n'était pas suffisant, les thématiques abordées ne vous laisseront pas indifférents : c'est en effet un discours engagé que nous servent ici les auteurs afin de soutenir la cause homosexuelle. Mais par extension, ce que j'en ai retenu, c'est surtout une histoire d'empathie, de tolérance de l'autre et d'acceptation de son soi intérieur, et au diable les préjugés !

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une narration fluide et ma foi efficace (nos questions trouvent leurs réponses, et ça, c'est assez cool!).
  • La SF bien exploitée.
  • Les filles de papier d'Elsa Charretier de toute beauté.
  • La colorisation et la mise en page.
  • Très belle édition 

  • On flotte un peu à la surface : peu d'exploration des personnages et un thème abordé mais pas approfondi.
Saint Seiya : La Bataille du Sanctuaire
Par

Le film d'animation Les Chevaliers du Zodiaque : La légende du Sanctuaire étant sorti en DVD cet été, on ne pouvait pas passer à côté de cette... chose pour le moins étrange.

Si vous ne connaissez pas Saint Seiya, je vous conseille en préambule cet article très complet de Jeff (ou encore celui-ci sur la version Deluxe). L'histoire est très connue et a fait les beaux jours du Club Dorothée. En gros, quelques adolescents dévoués à Athéna vont devoir affronter des adversaires surpuissants afin de faire triompher le bien. Le pitch est bien maigre mais son développement, très riche, avait valu au manga et au dessin animé du même nom de devenir cultes.

Pourtant, Kurumada n'est pas objectivement un très bon auteur [1], son œuvre phare est truffée d'incohérences et surtout se met rapidement à faire du surplace après la mythique bataille du sanctuaire : les autres affrontements (contre les Marinas de Poséidon, les Spectres d'Hadès ou, dans l'anime, les Guerriers Divins d'Asgard) suivront le même schéma en espérant recréer le côté épique de la terrible et inégale lutte contre les Chevalier d'Or.
Il n'est donc pas étonnant qu'un film se penche sur cette partie qui, pour beaucoup, reste le summum de la série.


Du coup, ce qui étonne quand on commence à s'intéresser au film, c'est sa durée incroyablement courte : 1h30 !
Bon, ok, le dessin animé tirait bien en longueur chaque passage de Maison, mais tout de même, on se dit que même une trilogie serait un peu juste pour exposer l'univers, ses concepts, les personnages et détailler chaque combat avec suffisamment de détails et de profondeur pour en rendre le côté parfois dramatique. Alors un unique film, aussi court, ça part mal.

Pourtant, le début n'est pas si mauvais (même s'il sera certainement plus clair pour les adeptes de Saint Seiya que les novices). La fuite d'Aiolos, la découverte de la réincarnation d'Athéna, les chevaliers de bronze, le sanctuaire, bon, tout cela est relativement bien introduit, même si c'est évidemment très condensé.
Visuellement, ça claque. Belles armures (conçues même de manière plus logique) et jolis effets de lumière.
Niveau scénario, on a un peu d'humour et... c'est tout. Parce qu'en réalité, tout le reste est ou bâclé ou très mal fichu.


Tout d'abord, les personnages sont inexistants et dépourvus de psychologie. Seiya fait bien un peu le pitre, mais Shiryu ou Hyoga par exemple sont totalement transparents. Idem pour la plupart des chevaliers d'or. Le seul qui a le droit a une présentation un peu "originale", c'est Deathmask. Et l'effet est catastrophique. En effet, le mythique chevalier du cancer se lance dans une sorte de... délire chanté, comme s'il était dans une comédie musicale. On a l'impression, dérangeante et ridicule, de voir un Luis Mariano sous LSD.

Les combats (l'un des éléments principaux du récit tout de même) sont également très mal mis en scène. Oh, il y a des explosions, des jets de lumière, des ralentis, des accélérations, mais la plupart du temps, les effets tombent à plat. Pour une raison d'ailleurs très simple tenant au traitement des personnages évoqué plus haut.
En effet, pour qu'un combat soit plus que de l'action ennuyeuse, il ne suffit pas que la chorégraphie martiale soit esthétiquement impressionnante (ce qui est de toute façon discutable ici tant l'action est souvent brouillonne), il faut aussi que l'on s'inquiète pour les personnages, qu'il y ait du sens, des motivations, de l'empathie, bref, de l'épaisseur. Et cette épaisseur n'est possible qu'avec une lente construction des personnages.


Un tas de maisons ou de combats épiques sont zappés (ce qui était inéluctable) mais, surtout, les combats restant sont sans intérêt car ils font s'affronter des coquilles vides.
L'amitié, le sens de l'honneur et du devoir, l'abnégation, les sacrifices, les relations parfois touchantes entre maîtres et élèves ou anciens ennemis, tout cela, tout ce qui faisait la substantifique moelle de Saint Seiya est absent.
Qu'il y ait des libertés prises avec l'histoire originale, très bien, c'est le but d'une telle adaptation de toute façon. Que le design soit revisité, c'est un minimum. Que certains éléments soient absents ou raccourcis, c'est inhérent au support. Que des détails secondaires changent (les pandora box, les masques...), on s'en fout pas mal à moins d'être un puriste fanatique qui confond ornements et propos. Mais que ce qu'il reste ce soit des affrontements sans âme, c'est déplorable. Parce que le propre de Saint Seiya, ce n'est pas la castagne, c'est ce qui la motive.

Il y a dans l'œuvre originale de véritables salauds, des tarés, bref, de "vrais méchants", mais il y a surtout des personnages complexes, parfois tourmentés, coincés par leur sens de l'honneur ou abusés par la situation. Il y a aussi des repentirs ou des illuminations de dernière minute. Et surtout, que d'amères victoires, où le chevalier de bronze est amené à tuer un adversaire qu'il respectait et dont il découvre la noblesse !
C'est pour ça que Saint Seiya fait mal au bide et enflamme l'esprit, parce que ce n'est pas manichéen. Bien sûr, les armures, les concepts (le septième sens, les constellations...), les techniques, les allusions à la mythologie, forment un background fascinant, mais le petit plus, l'étincelle essentielle vient de l'aspect vain et inéluctable de cette saga contant l'affrontement de frères d'armes animés souvent du même sens chevaleresque.


Sans cela, il ne reste pas grand-chose. Juste quelques effets pyrotechniques clinquants mais échouant à combler le vide fondamental des personnages, sans passé, sans pensées, sans failles ni personnalité.
Au final, si vous ne connaissez pas Les Chevaliers du Zodiaque, vous en aurez une bien mauvaise image avec ce film. Pour ceux qui connaissent et suivent Seiya depuis ses débuts, il s'agit au mieux d'une curiosité qui n'apporte rien au mythe et tend même à le dépouiller de ses plus beaux attributs.

Beau mais nul, un peu à l'image d'une godiche de télé-réalité, à la plastique parfaite mais au crâne vide [2].




[1] Il existe de nombreux exemples d'auteurs maladroits ayant donné naissance à des univers cultes, citons seulement Lovecraft, incapable notamment d'insuffler de la vie dans ses personnages, mais qui a contribué à mettre sur pied une mythologie riche et fascinante.
[2] En parlant de crânes vides, c'est amusant parce que Télérama, ce torche-cul de programme télé pour bobos neurasthéniques, a accordé trois étoiles à ce film et pondu une critique plutôt bonne. Et ce sont les mêmes qui ont chié sur Matrix ou Interstellar en prétendant que c'était de la "bouillie intellectuelle". C'est d'ailleurs devenu un très bon baromètre (sur internet hein, n'allez pas acheter ça) : si Télérama aime bien, en général ça n'augure rien de bon. S'ils trouvent ça nul, ce n'est pas forcément un bon film mais il y a souvent de bonnes choses dedans. Comme quoi, même les trous du cul ont leur utilité.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une introduction rapide mais plutôt bien faite.
  • Un joli son & lumière.
  • Certaines armures esthétiquement très réussies.

  • Personnages creux.
  • Aucune dramatisation.
  • Des ellipses mal choisies.
  • Combats souvent brouillons.
  • Heu... Deathmask, vraiment ?
Légendes de la Garde : La Hache Noire
Par
A travers ces communautés, nous clamons notre volonté d'être indépendants du monde brutal qui nous entoure. En elles résident notre autonomie, nos idéaux et notre fierté. Par notre courage et notre détermination, elles subsistent. 
Voilà la noble déclaration qui débute ce tome des Légendes de la Garde et accompagne la carte présentant les territoires du petit peuple des souris. Nous avions déjà eu l'occasion de vous présenter cette saga (cf. cet article) qui continue ici de belle manière avec La Hache Noire.

Petit rappel pour ceux qui auraient raté le début. Les Légendes de la Garde sont écrites et dessinées par David Petersen. Elles mettent en scène quelques héroïques rongeurs dans un univers médiéval et anthropomorphique. Souris, belettes, lapins, renards ou fouines cohabitent, commercent ou se font la guerre, bien loin du regard des hommes.


Les deux premiers volumes se déroulaient pendant l'automne et l'hiver 1152. Bien que certains passages constituent ici une suite directe se déroulant au printemps et à l'été 1153, l'essentiel du récit est centré sur une époque plus lointaine (1115) et la quête de la Hache Noire qui donne son nom à la BD.
Celanawe, éminent membre de la Garde, se voit confier une mission de la plus haute importance par sa dernière parente, elle-même mandatée par la matriarche à laquelle il a juré obéissance. L'habile épéiste doit en effet retrouver la légendaire Hache Noire, perdue depuis longtemps par-delà l'immense mer du Nord.

Le voyage débute par l'acquisition d'un navire à Port Sumac et par une habile manipulation afin de convaincre un capitaine d'accompagner les deux souris. Si la traversée sera longue, les dangers qui guetteront le petit groupe à son arrivée seront bien plus nombreux encore...
L'on retrouve ici l'ambiance épique des chapitres précédents, ainsi que la même attention portée par l'auteur aux décors ainsi qu'à la société des souris et son Histoire. Chaque cité possède ses particularités, ses ressources, ses coutumes, l'ensemble formant un tout cohérent et vraisemblable.


Bien que le côté "petites bestioles poilues" puisse faire penser à une histoire pour enfants, le ton est en réalité mature, parfois dramatique. L'on croise des personnages fort différents et réalistes, que ce soit des canailles alcooliques, de nobles cœurs ou des prédateurs qui se révèlent finalement bien plus que de pâles "méchants" de circonstance ou de simples faire-valoir. Le terrible renard des ronciers ou le roi des furets ne sont ainsi pas uniquement des ennemis mais apportent du sens au récit et de la profondeur à l'univers des souris, que l'on découvre au final sombre, violent et amer.

Graphiquement, même si les souris de Mice Templar se révélaient sans doute plus abouties et charismatiques, les planches se révèlent très agréables et détaillées, avec une mention spéciale pour les villages et les intérieurs.
En plus de la carte déjà évoquée et d'un avant-propos, l'ouvrage contient également des annexes qui comportent de nombreux éléments disparates : arbre généalogique, fragments de tapisserie, cartes maritimes ou du ciel, descriptions d'embarcations, détails sur certaines cités ou lieux importants, éléments sur les métiers et artisans, le tout richement illustré.


L'édition proposée par Gallimard est soignée et dispose d'une traduction de qualité. Seul petit bémol, la police utilisée pour le texte hors dialogues est parfois un peu pénible à déchiffrer (même si le style convient bien au contexte).
Une vingtaine d'euros pour près de 200 pages. Signalons qu'il existe également une version kindle que je déconseille vivement, d'une part parce que les liseuses ne sont pas faites pour la BD (cf. cet article sur le sujet), d'autre part parce que le prix est ridiculement élevé pour un support numérique.

Une belle histoire, peut-être un peu moins riche ou émouvante que les tomes précédents, mais vivement conseillée tout de même.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers riche et crédible.
  • Utilisation intelligente des différentes races.
  • Des détails historiques ou sociétaux bien pensés (comme l'utilisation des capes de différentes couleurs par exemple).
  • Des annexes intéressantes.
  • L'aspect visuel des décors, villages et habitats.

  • La police des descriptifs.
  • Le côté "aventure" qui prime ici sur le développement, pourtant passionnant, de l'univers politique et social des souris.
30 ans et demi - "Pour les adultes qui ont gardé leur âme d'enfant"
Par

Ce nouveau trimestriel  à destination des trentenaires et quadras — mais pas que — est disponible depuis le mois de juillet à la suite d'une campagne de financement participative sur la plateforme Ulule. Les différents rédacteurs ont déjà œuvré au sein de plusieurs revues (Comic Box, Animeland, Dixième Planète…) et avec ce magazine, ils s’appuient sur la fibre nostalgique de la génération Y [1], un esprit ludique et positif [2].

Ce numéro n'est pas vraiment le premier. En septembre 2013 [3], 30 ans et demi était présent dans les kiosques. Entre ces deux livraisons, les responsables ont procédé à un changement de diffuseur et à la création d'une société d'édition afin de s'affranchir de toutes ingérences commerciales.
30 ans et demi traite de plusieurs domaines de l’imaginaire (cinéma, animation, jeux vidéo, bande dessinée…). Il propose même une recette de cuisine à base d’un ingrédient issu d’une marque célèbre (vache qui rit…), un tour du côté de la High Tech jusqu’à une très dispensable rubrique sexy où l'on espère voir aussi des hommes.

Le parti pris — celui de regrouper les cultures Geek, comme le rédacteur en chef Rui Pascoal les qualifie [4] — rappelle que ces médias s’influencent les uns les autres et qu'ils ont toujours été imbriqués et consommés en simultanés par plusieurs générations. 30 ans et demi s’inscrit dans cette logique, mais se veut un poil caricatural, proche du lecteur en évidant un discours trop intellectuel [4]. La nostalgie caractérise l’ensemble des chroniques , cependant les journalistes restent ouverts sur l’avenir, refusant un passéisme mortifère.
L'idée de 30 ans et demi se rapproche énormément d'un autre magazine, Geek le mag, une couche de Club Dorothée en plus.

Cette fameuse nostalgie est devenue depuis plus de deux décennies un filon juteux pour une partie de l'industrie culturelle. Sans doute connaissez-vous les compilations musicales Méga 60, Méga 70, le merchandising autour de Salut les copains !, les soirées où l'on chante des génériques TV, les adaptions en films de vieilles séries du petit écran (Chapeau melon et bottes de cuir...), les émissions en prime-time avec moult stars has been…
Le premier numéro de cette nouvelle mouture de 98 pages dispose d'un sommaire impressionnant suivant deux axes forts : un entretien avec Alexandre Astier - avec un retour sur la série qui l'a mis sur le devant de la scène : Kaamelott – et 22 pages consacrées aux studios Ghibli [5]. Le tout est complété par une foultitude de sujets, le plus souvent sur deux pages, d’œuvres récentes ou non [6].
Si les articles sont agréables à lire, quelques-uns souffrent d’un défaut d'analyse et d’une écriture trop consensuelle. Un lexique aurait été utile pour les néophytes : gashapon, HQS... afin de ne pas interrompre le flux de la lecture pour ouvrir un dictionnaire en ligne. Des précisions sur certains animes qu’on ne suit pas forcément (Battle of god...) n'auraient pas été de trop et de rares coquilles (accent oublié, espace manquant, une lettre de trop à la fin d'un mot...) ont échappé aux yeux des correcteurs. Quelques phrases sonnent étrangement puisqu’elles se rapportent au numéro de 2013 indisponible [7].

Le magazine, très sympathique à picorer, gagnerait à exploiter une thématique fédératrice sur son ensemble. Toutes ces pages consacrées à Ghibli, Nadia et Jules Vernes auraient pu être complétées par des papiers dédiés à la BD City Hall, au film d’animation Laputa et pourquoi pas, au steampunk en général. Les prochains numéros mériteraient d’être plus étoffés avec des présentations d’œuvres moins connues (Torpedo, Cybersix, Tex, Diabolik…), des topos sur les phénomènes de société (fanart, fandom), un sujet sur les romans autoédités (par exemple Les Mondes d’Amarande de Myriam Morand, résultat de toutes ces influences populaires), des technologies comme le vectrex, la mode de l'électronique, les débuts d'internet grand public… pourquoi pas le prodige transgénérationnel Dr who. Et pour pousser le vice : courrier des lecteurs, concours de belles enveloppes, petites annonces…

Replacer tout ce corpus d’œuvres hétéroclites et cultes dans leurs contextes historiques apporterait un regard neuf sur le passé. Les cultures évoluent dans le temps et changent de direction au fil des événements. La chute du mur de Berlin, la dislocation du bloc soviétique, la guerre du Vietnam, l'explosion de la bulle économique du Japon ont façonné et remis en question le contenu des médias. La manière de raconter, de dessiner, de développer les icônes et les égéries ont crû dans ce terreau. Il ne s'agit pas d'écrire des pages d’analyses soporifiques, mais des articles se penchant sur ces différents prismes pour apporter un éclairage nouveau sur des produits culturels que les enfants des années 70 à 90 ont absorbés ou rejeté à l’époque de leurs sorties et qu’ils adulent aujourd’hui sans forcément comprendre les raisons souterraines de cette appétence. 30 ans et demi est le genre de magazine dont la ligne éditoriale peut être développée, fructifiée. 

Avec 30 ans et demi, nul doute que découverte et redécouverte sont au rendez-vous pour tous. Le magazine peut être lu et apprécié par toute la famille, pour partager souvenirs et anecdotes et s'échapper des points de vue sectaires. Les numéros suivants ne pourront que bonifier le concept si le succès est au rendez-vous. Pour le moment, il n’est disponible qu’en France dans certains points de vente. Vous pouvez demander la liste directement sur Facebook.

30 ans et demi, 5.95€, par les Neology Productions.

[1] Terme qui regroupe grosso-modo les personnes nées entre les années 1980 et 2000.
[2] Comme décrit dans l'éditorial du premier numéro de 2015.
[3] Le numéro sorti en 2013 proposait sur 82 pages un dossier Les mystérieuses citées d'or, les séries TV X-Or et Walking Dead, la marque Lego, une interview de IAM, un portrait de Stephen King, Goldorak, Picsou... ainsi qu’un billet d'humeur de Corbier : "nostalgie quand tu nous tiens".
[4] Entretien sur France Bleue.
[5] Avec les interviews de Hayao Miyazaki, Isao Takahata, un compte rendu de l'exposition à la galerie Art ludique, les présentations des films Le vent se lève, La princesse Kaguya, Souvenirs de Marnie et du jeu vidéo Ni wo Kuni.
[6] Du côté des livres, Une histoire d'homme de Zep, un topo sur Wolverine et son hypothétique décès, Dragon ball Super (dont le papier me semble un peu confus entre le manga et l’anime), et un entretien avec un dessinateur français : Alexis Tallone. L'animation s'intéresse à Nadia, le secret de l'eau bleue dans un article des plus consensuels (il n'est pas fait mention du pourquoi du comment des épisodes humoristiques mal animés, brisant le rythme du récit …), Les nouveaux héros de Disney, les jeux vidéo avec Mr Hiroshi Yamachi (Nintendo), Battle of Olympus, Mylène Farmer, Vladimir Cosma...
[7] Exemples p.50 :"il dessine à chaque numéro" et p.73 : "voir nos news high-tech du #1 de notre magazine".
 
+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La variété des sujets.
  • De gros dossiers.

  • Difficulté de se le procurer en dehors de la France.
  • Approfondir les sujets.
Top 5 des musiques de BO qui ont mieux vieilli que leurs films
Par


Il y a quelque temps, nous vous avions proposé un top 5 musical qui était, il est vrai, très orienté metal (cf. cet article). Nous allons cette fois nous attaquer à un domaine très différent : les musiques de films. Mais pas n’importe lesquelles, plutôt les titres franchement sympa qui accompagnent des films qui ne sont tout de même pas des chefs-d’œuvre.

Alors, j’ai volontairement mis de côté les films français, parce que des nanars qui disposent de bonnes musiques en comparaison de leur scénario naze, il y en a bien trop par chez nous. Hop, hors concours. C’est dommage parce que j’aurais bien aimé évoquer le Destinée de Guy Marchand. Bon, le titre est à appréciation variable (la mélodie rentre bien dans le crâne quand même) mais il est toujours infiniment mieux que le film dont il est issu (Les sous-doués en vacances).
On se concentre donc sur le cinéma étranger. Ben… américain donc.
On commence léger mais vous allez voir qu’on va finir avec du très lourd.

5. Top Gun – Righteous Brothers : Lost that loving feeling

Si vous n’étiez pas ado dans les années 80, il y a peu de chances pour que Top Gun vous ait frappé. Pourtant, à l’époque, c’était carrément une réussite au niveau de la forme. Même le pourtant très critique et acide Hebdogiciel lui avait octroyé la note de 14/20 (à la différence de Télérama, ces gens avaient plus de goût que de principes élitistes).
Il faut bien le reconnaître, si on le visionne aujourd’hui, Top Gun a aussi mal vieilli qu’une actrice hollywoodienne sous botox. Ça se fissure de partout. Tom Cruise en fait des caisses, les situations sont caricaturales au possible, la vraisemblance inexistante… mais bon, dans les années 80, ça respectait les codes narratifs en vogue, c’était même « moderne ».
La BO est plutôt sympa dans son ensemble, mais en réalité, celle qui a été mise en vente ne contenait pas la chanson dont il est question ici. Pourtant, elle revient à deux reprises dans le film. Une première fois dans une horrible traduction française quand Tom Cruise drague Kelly McGillis dans un bar, une seconde fois à la fin du film, grâce à un bon vieux juke-box.
C’est un titre des années 60 et pourtant, il est encore très bon, au contraire du film, bien plus récent, qui ne peut plus se voir qu’avec un deuxième degré évident tant il parait daté et maladroit.

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4. Cobra – Jean Beauvoir : Feel the Heat

Toujours les années 80 avec évidemment un bon vieux Stallone. Qu’est-ce que les franchouillards prétentieux ont pu lui chier dessus à l’époque… bon, faut dire qu’il n’a pas fait que des films dignes d’intérêt. Tout comme Over the Top, une énorme « fausse » bonne idée qui consistait à filmer des bras de fer, Cobra est un très mauvais film doté d’une très bonne BO.
J’ai retenu ici Feel the Heat mais Angel of the City ou Loving on Borrowed Time auraient pu aisément tenir le même rôle emblématique.
La musique est à l’image du personnage, carrée, propre, efficace, un poil violente mais gentille quand même.
Le film, lui, est un pur naufrage. Le personnage incarné par Stallone porte pourtant en lui toutes les graines du « mec cool » des années 80 : infaillible, costaud, en marge du système, possédant quelques failles (dans le cas présent son… prénom). Plus tard, des gens comme Mel Gibson ou Bruce Willis incarneront le même type de héros, avec des couilles énormes et toujours une petite vanne à balancer avant de flinguer les méchants. Il faut néanmoins reconnaître que Stallone, et Cobra, sont pour beaucoup dans ce stéréotype qui durera jusqu’au début des années 90.

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3. Le Diamant du Nil – Billy Ocean : When the going gets tough, the tough get going

Ah, voilà un incontestable bon nanar, bien naze. La suite de A la poursuite du diamant vert (Romancing the stone) ! Typiquement de l’aventure des années 80, avec le héros soi-disant « bourru » (mais en réalité très propre sur lui) et la nana dépassée qui le prend en grippe mais finira par tomber amoureuse du gaillard. On connait la fin après trois minutes de film.
Inventivité zéro, mais dans le second opus, bien pire, il y a tout de même Billy Ocean. Ben Billy Ocean quand même, celui de Caribbean Queen ou Loverboy !
Mais en réalité, c’est le clip de When the going gets tough, the tough get going qui a une histoire savoureuse. En fait, pour cette chanson, emblématique du film donc, les acteurs principaux ont tourné dans le clip. Et le clip était assez basique, c’était en fait une sorte de concert filmé. On voit le grand Billy, ces musiciens, et trois « faux » choristes tout de blanc vêtus : Michael Douglas, Kathleen Turner et Danny DeVito. Et là, scandale, certains syndicats ont gueulé à l’époque parce que DeVito faisait… semblant de jouer du saxo. Parait que ça lésait le vrai saxophoniste.
Ah oui, déjà à l’époque, ça gueulait pour pas grand-chose. Parce que bon… quelqu’un a cru que DeVito jouait vraiment ? Parce que si c’est le cas, attention, j’arrive avec une deuxième nouvelle qui risque de vous mettre sur le cul : Douglas et Turner ne chantent pas vraiment non plus.
J’admets que le titre n’est pas le meilleur Ocean que l’on puisse se mettre dans les tympans, mais ça reste tout à fait sympathique. Et bien meilleur que le film.

La musique en question : click (et la seconde version politiquement correcte, avec le vrai musicos : click)


2. Eyes Wide Shut – Jocelyn Pook : Masked Ball

Un film bien plus récent, et un Kubrick quand même, pour une musique exceptionnelle et très marquante.
Le film, avouons-le, n’est pas au niveau d’un Full Metal Jacket par exemple ou d’un 2001, A Space Odyssey. Il faut préciser que Kubrick est décédé avant que le film soit terminé, et que les mecs prétendant connaître son avis ne s’accordent pas vraiment sur ce qu’il était supposé en penser. Certains estiment qu’il imaginait que c’était « sa plus grande contribution au cinéma » (c’est l’avis d’un des producteurs du film), d’autres rapportent qu’il pensait que c’était « de la merde ». Grand écart facial dans ta gueule.
Quand on voit le film, on se dit que le deuxième avis est tout de même plus proche de la vérité. C’est lent, prétentieux, faussement sulfureux et au final terriblement décevant.
Mais Masked Ball restera sans doute dans les mémoires de ceux qui ont vu le long métrage. Le chant que l'on entend a d’ailleurs une origine intéressante : il s’agit d’un chant liturgique orthodoxe roumain joué en sens inverse. L’effet est saisissant. Très étrange et même inquiétant. La musique a elle seule donne un « poids » énorme aux scènes qu’elle accompagne. L’effet voulu (Kubrick voulait du « weird ») est parfaitement obtenu, c'est carrément flippant.

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1. The Mist – Dead Can Dance : Host of Seraphim

Je termine musicalement sur le morceau le plus lourd en termes de qualité mais aussi d’impact émotionnel.
The Mist est l’adaptation de la nouvelle (plutôt une novella en terme de longueur) Brume, de Stephen King. C’est très mal foutu. On sent le manque de moyens et le manque de savoir-faire (un strike normalement catastrophique).
Et pourtant, ce truc (bien en-deçà du récit de King) est sauvé par la bande son et une ou deux scènes énormes en fin de film. C’est typiquement la bonne alliance. Quelque chose qui illustre parfaitement la désespérance et le côté… démesuré du destin, de la vie, de l’univers.
Impossible d’entendre les premières notes de ce morceau sans avoir des frissons. Sans avoir une modification nette de l’humeur. Sans avoir des failles subites dans vos pensées, qui vous emmènent loin, bien loin de vos préoccupations quotidiennes.
Ce n’est pas forcément le truc à manier n’importe comment par contre. Ce n’est pas le genre de chose que l’on écoute en bagnole, en partant en vacances avec ses gosses.
Ce n’est pas non plus le genre de truc que l’on devrait écouter le soir, tard, avec du whisky dans les veines et un flingue chargé dans le tiroir du bureau.
Parce que ça a un impact. Et que ça remue des choses, de la vase, que l’on ne devrait côtoyer qu’au grand jour. Et de bonne humeur.
Mais quelle puissance ceci dit. Quelle beauté aussi. Une beauté étrange, douloureuse mais fascinante. Le son a ceci de pratique qu’il est universel. Peu importe que vous soyez suédois, chinois, allemand ou péruvien. Si vous entendez ce truc, vous savez que l’on ne célèbre pas l’arrivée de l’été ou que ce n’est pas l’accompagnement d’une fête de la saucisse. Ça ne raconte pas non plus les tourments d’un trou du cul qui a perdu ses clés. On sent que c’est important. Que cela touche à notre condition. Cela fait vibrer en nous les cordes éternelles qui sont présentes chez tous les humains. Avec un drôle d’accord tragique.

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Hmm, c’est pas joyeux pour la fin, mais j’avais prévenu.
La musique est importante. Dans les séries, les films, c’est elle qui donne la sensation première, la tonalité générale. Une scène un peu pauvre peut être rattrapée par une musique dramatique. Et la même scène peut être mise en perspective, avec un second degré évident, par l’utilisation d’une musique différente. Et sans musique, l’effet est garanti : on rallonge la longueur apparente d’une scène.

Le son, paradoxalement, est primordial dans ce que l’on regarde. Il donne un sens et habille l’image. Et parfois, les fringues tiennent plus longtemps que les bonhommes...